L’intérim lorgne les 12 000 informaticiens en portage salarial
Les entreprises de travail temporaire pourront dans quelques mois exercer une activité de portage salarial. Au risque, selon les sociétés pratiquant actuellement ce type de contrat, de créer un sous-intérim et du dumping social.
Après le placement en CDD ou CDI, la formation et le reclassement, les entreprises de travail temporaire pourront bientôt proposer une prestation de portage salarial. Cette nouvelle diversification d'activité offrirait un beau relais de croissance alors que l'emploi intérimaire a reculé de près de 29 % en 2009. Un pré-accord est actuellement en cours de négociation avec les organisations syndicales. Une fois finalisé, un projet de loi devrait voir le jour pour un texte applicable – dans le meilleur cas – en septembre prochain.
Ce scénario se heurte, bien entendu, aux entreprises de portage existantes. Vent debout, les huit plus grandes se sont fendues d'un communiqué pour dénoncer cette « récupération du portage salarial ». Pour elles, la manœuvre est claire. L'intérim veut siphonner un marché prospère estimé à près d'un million de portés à l'horizon 2020 contre 50 000 aujourd'hui. Une clientèle lucrative, composée à plus de 80 % de cadres contre 3 % en intérim. Tout en excluant les autres professionnels, en imposant un statut cadre et une rémunération minimale de 2 600 euros mensuels (5 000 euros facturés). Somme que n'atteint pas toujours un développeur ou un Webmaster.
Concurrencer les SSII sur le marché des PME
Ce changement de cadre pourrait concerner les quelque 12 000 informaticiens actuellement en portage salarial (20 % des effectifs, mais 35 % du chiffre d'affaires). « On va créer du sous-intérim, encore plus flexible et malléable », déplore Guillaume Cairou, PDG de Didaxis, société de portage spécialisée dans les métiers du conseil, de l'ingénierie et de l'informatique. « Aujourd'hui, le statut du porté se distingue très nettement de l'intérim. Propriétaire de sa clientèle, le porté est autonome dans la réalisation de ses missions et n'a pas de lien de subordination avec son client. »
Guillaume Cairou voit d'un très mauvais œil le rouleau compresseur que constituent ces 6 500 agences de travail temporaire. « Elles pourront fournir du personnel hors de leur cadre légal que sont les remplacements, l'accroissement temporaire d'activité ou les emplois saisonniers. » Avec un risque de précarisation des informaticiens portés. « Une fois rattachés à l'intérim, la commission sera d'au moins 20 % contre 5 à 10 % en société de portage. »
Déjà référencés auprès de leurs clients, les Adecco et autres Randstad pourraient enfin, selon lui, faire concurrence aux SSII et aux cabinets de conseil en visant essentiellement les PME. Adecco possède déjà une SSII avec sa filiale Ajilon IT.
Inversement, des SSII pourraient être tentées de passer des salariés en portage en créant une filiale intérim. « Cette nouvelle flexibilité du marché du travail peut introduire un risque de dumping social alors que le portage vise à maintenir l'employabilité, notamment des profils seniors, en leur proposant un premier pas vers la création d'entreprise ».
Dissiper le flou juridique autour du portage
Délégué général du Prisme, le syndicat professionnel de l'intérim, François Roux se défend de tels desseins. Les entreprises de portage n'auraient pas apprécié que les partenaires sociaux demandent à sa Branche d'encadrer cette activité dans le cadre de l'accord sur la modernisation du marché du travail de 2008. « Elles font du protectionnisme alors que nous ne seront pas en concurrence frontale. Nous interviendrons dans les sous-préfectures alors que les sociétés de portage se concentrent dans les grandes villes. Les cabinets de recrutement nous avaient fait aussi ce faux procès quand nous avons commencé l'activité de placement. »
François Roux balaie aussi les risques de dérives. « L'activité de portage sera toujours le fait du salarié au risque sinon de voir le contrat reconverti en CDI. » Au contraire, la nouvelle donne permettrait de dissiper le flou juridique qui entoure le statut. Certains salariés portés s'étant, par exemple, retrouvés au chômage sans indemnités. « Pour l'Unedic, le porté n'a pas de lien de subordination, donc pas de contrat de travail, donc pas de droit à indemnisation. »