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Harcèlement, comment vous défendre ?
Bien souvent, elle émane de l'existence de pratiques délétères délibérées, érigées en méthode de management pour pousser à l'erreur et permettre de faire partir les salariés aux frais les plus bas possibles (licenciement pour faute ou démission).
Sur les 25 000 salariés interrogés dans le cadre de l’enquête Sumer 2003 :
- 1,9 % déclarent subir, dans leur emploi actuel, des atteintes dégradantes de la part d’une ou plusieurs personnes ;
- 8,9 % déclarent être confrontés à un déni de reconnaissance de leur travail ;
- 6,5 % déclarent être concernés par des comportements méprisants.
- les femmes sont en général plus nombreuses que les hommes à déclarer subir au moins un type de comportement hostile ;
- les salariés les moins qualifiés sont plus exposés que les autres ;
- les salariés des petites entreprises (de moins de 10 personnes) évoquent plus rarement ce type d’agissements.
Les salariés qui signalent être objets de comportements hostiles dans leur travail se disent « en nettement moins bonne santé que les autres ». Ils ont également eu « nettement plus souvent des arrêts de travail pour maladie au cours des douze derniers mois ». Ils déclarent plus souvent consommer des médicaments, ou accroître leur consommation d’alcool ou de tabac, du fait de leurs soucis professionnels.
Quels sont vos moyens d'action ?
Vous pouvez décider de ne rien faire et d'attendre que la situation se calme....
Vous pouvez chercher des soutiens dans votre entourage professionnel, du médecin du travail, des représentants du personnel, ou prendre conseil auprès d'un avocat qui pourra vous donner des conseils pour une démarche plus offensive.
Si la situation perdure, comment quitter l'entreprise et surtout comment saisir la justice pour demander réparation du préjudice ?
Ne rien faire risque d'avoir des conséquences sur votre santé, si la situation perdure. Bien plus, vous pouvez donner « consistance au harcèlement car votre responsable peut voir dans votre silence et dans votre résignation un encouragement à continuer ses agissements.
Vous risquez de multiplier les arrêts de travail et de sombrer peu à peu dans la dépression.
La fatigue morale et physique que vous ressentez peuvent vous conduire à ne plus pouvoir assumer votre charge de travail et à commettre des erreurs pouvant être utilisées pour motiver un licenciement pour incompétence ou pour faute.
Il vous faut rapidement trouver un interlocuteur de confiance, un thérapeute, un médecin à qui vous pourrez parler. Le seul fait de vous confier librement vous aidera à voir plus clair et à mieux vous comprendre. En effet, pour vous défendre, vous devez rester en bon état psychologique.
Consulter un psychiatre ou un psychothérapeute vous permettra de mieux faire face à la situation. il est important de bien repérer le processus de harcèlement et si possible de l’analyser. Et un thérapeute pourra vous y aider.
Selon Marie-France Hirigoyen, « les psychiatres qui reçoivent à leur cabinet un salarié qui s’estime victime de harcèlement moral ne sont pas là pour juger de la réalité du harcèlement. Ils sont là pour écouter la personne et travailler avec son ressenti. Certes, si le patient est d’accord, ils peuvent contacter le médecin du travail, mais, de toute façon, ils n’auront pas tous les éléments ».
Même si les psychiatres ne reconnaissent pas le contexte professionnel, ils peuvent mesurer les effets sur la santé du salarié. Ils peuvent donc faire un certificat médical, qui décrive l’état psychique.
Dans certaines situations, pour diminuer le stress et ses conséquences, la seule solution sera de vous mettre en arrêt maladie pour vous protéger (une aide médicamenteuse, anxiolytique et antidépressive peut s’avérer indispensable). Cette solution est bien souvent rejetée par les victimes du harcèlement par crainte d'envenimer la situation ou tout simplement par nécessité financière (perte de salaire).
- Contrairement à ce qu'avait préconisé le conseil économique et social, le législateur n'a pas étendu le droit de retrait aux cas de harcèlement moral et, à ma connaissance, la jurisprudence ne s'est pas encore prononcée sur le sujet.
La Cour d'Appel de Riom l'a admis en matière de harcèlement sexuel.
Rassembler le plus de preuves possibles.
Par exemple, consigner de manière circonstanciée (dates et faits détaillés) tous les agissements litigieux de votre harceleur. Faites des photocopies de tout ce qui pourrait à un moment ou à un autre constituer votre défense. Noter toute forme de provocation ou toute agression (la difficulté de se défendre réside dans le fait qu’il y a rarement des preuves flagrantes).
Chercher des appuis à l'intérieur de l'entreprise, tout en étant très prudent.
Choisissez soigneusement les collègues à qui vous allez vous confier. Les collègues de confiance pourront vous aider sur le plan psychologique en vous apportant un soutien moral afin de ne pas « craquer ».
Certains pourront, en cas de besoin, apporter leurs témoignages concernant les faits qui se sont produits. Attention, il est toujours difficile d'obtenir des témoignages écrits des salariés en poste car beaucoup ont peur pour leur emploi... En clair, ils craignent les « représailles ».
La direction : si votre entreprise est dotée d'une direction des ressources humaines, prenez rendez-vous avec votre DRH pour l'informer de la situation et les éléments que vous aurez consignés pourront étayer votre argumentation.
Dans de nombreuses entreprises, on constate que les DRH ne font que de l'administration technique du personnel et qu'elles hésitent à intervenir dans ce domaine par manque de formation et de connaissance.
Dans son ouvrage, Le harcèlement moral dans la vie professionnelle, Marie-France Hirigoyen dénonce le laxisme des DRH sur cette problématique. « Même s’ils sont conscients de la réalité du problème, les DRH oscillent entre son déni, sa banalisation et la perplexité… En principe, les DRH devraient être les mieux placées pour remettre un « harceleur » à sa place, puisqu’elles servent d’intermédiaires entre les salariés et la direction. Dans la réalité, elles ne font que répercuter de façon neutre les consignes de la direction et hésitent à intervenir ».
Les instances représentatives du personnel, lorsqu'elles existent au sein de votre entreprise. Dès que vous contactez les instances, le conflit devient ouvert et la direction risque de penser que vous vous mettez en opposition... Une hypothèse à ne pas négliger.
Tout représentant du personnel au CHSCT peut déclencher une procédure d’alerte, entraînant une enquête immédiate.
Selon Mme Hirigoyen, « c’est le rôle des syndicats de repérer les cas de management par le stress qui peuvent être un préalable à la mise en place de harcèlement. Ils peuvent discuter avec la direction des objectifs de productivité à travers des comités d’entreprises ».
Au niveau légal, les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise peuvent exercer en justice toutes les actions qui naissent du harcèlement en faveur d’un salarié de l’entreprise. Les syndicats doivent justifier d’un accord écrit de l’intéressé.
Le salarié peut toujours intervenir auprès de l’instance et y mettre fin à tout moment (C. trav., art. L. 1154-2).
Chercher des appuis à l'extérieur de l'entreprise
Le médecin de travail a un rôle de prévention. Il peut proposer à l'employeur « une mutation ou une transformation de poste, si la santé physique et mentale du salarié est en cause ».
Le médecin du travail peut également, après deux examens médicaux, déclarer le salarié inapte. Attention : cette décision obligera l'employeur à proposer un reclassement au salarié, c'est-à-dire en cas d'impossibilité de licencier le salarié inapte.
Selon Mme Hirigoyen, le médecin du travail « peut aider la victime à mieux verbaliser son problème et puis, pour ensuite permettre aux salariés et aux responsables de prendre conscience des conséquences graves de ces situations de violence psychologique ».
Les inspecteurs du travail ont le droit d’entrer dans tous les établissements soumis à leur contrôle. L’inspecteur du travail a accès à tous les livres, registres ou documents prévus par la réglementation.
Pour l’application de certaines dispositions légales et réglementaires relatives à l’hygiène, la sécurité, la santé et la médecine du travail, une procédure de mise en demeure assortie de délais minimaux d’exécution est parfois prévue : l’inspecteur qui constate une infraction à ces prescriptions doit, avant de dresser un procès-verbal, mettre le chef d’établissement en demeure de s’y conformer dans un certain délai.
De nombreuses associations de soutien et d'aide se sont constituées depuis quelques années. Elles peuvent apporter un soutien efficace aux victimes de harcèlement et les guider dans leurs démarches.
Vous pouvez faire appel à un médiateur. Il s'agit d'une procédure qui consiste à désigner un tiers afin de faciliter un règlement amiable du conflit. Le choix du médiateur fait l’objet d’un accord entre les parties (C. trav. art. L. 1152-6).
Le médiateur s’informe de l’état des relations entre les parties, il tente de les concilier et leur soumet des propositions qu’il consigne par écrit, en vue de mettre fin au harcèlement.
En cas d’échec de la conciliation, le médiateur informe les parties des éventuelles sanctions encourues et des garanties procédurales prévues en faveur de la victime. La loi reste silencieuse sur la possibilité de produire dans une procédure contentieuse, les éléments réunis lors de la tentative de médiation.
La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) est une autorité administrative indépendante, créée par la loi du 30 décembre 2004.
Elle aide toute personne à identifier les pratiques discriminatoires, et à les combattre. Elle conseille pour les démarches juridiques et contribue à établir la preuve de la discrimination. Elle peut se saisir elle-même de toute pratique discriminatoire dont elle a connaissance. Elle dispose de pouvoirs d’investigation pour instruire les dossiers. Elle peut exiger des documents et des preuves que la victime n’a pas pu obtenir, aller vérifier sur place et entendre des témoins.
si le harcèlement procède d'une discrimination, la Halde pourra prendre en charge votre dossier et vous aider à trouver une solution adaptée.
Que faire si la situation ne s'améliore pas ?
Le premier conseil que je donnerai est de consulter rapidement un avocat spécialisé en droit du travail et rompu aux affaires de harcèlement et discrimination.
Les salariés consultent un avocat lorsque la rupture du contrat est consommée, alors qu'il est impératif de le consulter avant cette extrémité.
En effet, un bon avocat pourra vous guider pour tenter de faire cesser le harcèlement moral. Il pourra vous conseiller pour écrire un courrier, recueillir des preuves ou constituer votre dossier si l'affaire est portée en justice.
L'avocat peut également vous apporter une aide précieuse pour « négocier » votre départ de l'entreprise dans des conditions financières favorables.
La prise d'acte de la rupture du contrat de travail avec demande de réparation en justice
Hormis un départ négocié, vous pouvez prendre acte de la rupture de votre contrat de travail, donner votre démission et engager une procédure pour faire requalifier votre départ en licenciement sans cause réelle et sérieuse, demander en justice la résiliation de votre contrat de travail. Vous pouvez également déposer une plainte.
Si le harcèlement est reconnu, les juges peuvent considérer que vous avez rompu votre contrat sous la contrainte. Dès lors, la rupture est analysée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les conséquences seront identiques à celles de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail.
Selon la Cour de Cassation, si le harcèlement moral est reconnu, le salarié doit être indemnisé au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 3 février 2010).
Le salarié pourra prétendre au versement :
- du salaire qu’il aurait dû percevoir entre la date de la prise d’acte de rupture de son contrat de travail et la date du jugement,
- de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
- à ces sommes s'ajouteront les indemnités de licenciement et l'indemnité compensatrice de préavis de congés payés sur le préavis.
La Cour de Cassation considère qu'il relève du pouvoir souverain d'appréciation des juges de fixer le montant des dommages et intérêts dus au salarié en réparation du préjudice subi, résultant de faits de harcèlement moral, et il importe peu que l'Inspection du Travail n'ait pas retenu d'infraction à l'encontre de l'entreprise.
- Il est impératif pour le salarié de mentionner dans sa lettre de démission les manquements de l'employeur qui l'ont contraint à donner sa démission.
Vous pouvez demander au juge de résilier votre contrat de travail au tort de l'employeur. Une résiliation au tort de l'employeur emporte les mêmes conséquences qu'un licenciement abusif.
Concernant le droit aux indemnités de chômage
La démission imputable à un acte présumé délictueux constitue un cas de chômage involontaire. « La démission intervenue à la suite d'un acte susceptible d'être délictueux dont le salarié déclare avoir été victime à l'occasion de l'exécution de son contrat de travail et pour lequel il justifie avoir déposé une plainte auprès du procureur de la République ».
« À l'appui de sa demande, l'intéressé devra présenter la copie de la plainte ou le récépissé de dépôt de celle-ci auprès du Procureur de la République. Comme dans le cas précédents, la citation directe, la plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction ou la plainte déposée auprès du commissariat de police ou d'une gendarmerie sont également recevables » (circulaire n° 2009-10 du 22 avril 2009).
Le dépôt d’une plainte
Le harcèlement moral est un délit pénal puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende. Si la plainte aboutit, la victime pourra obtenir la condamnation de son harceleur et le versement de dommages et intérêts.
La loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 « tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale », prévoit que la plainte avec constitution de partie civile doit être précédée d'une plainte simple auprès du Procureur de la République ou un service judiciaire.
Vous pouvez déposer votre plainte directement au service compétent, contre récépissé, ou l'adresser par lettre recommandée avec accusé de réception.
Le Procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner. Il peut :
- classer sans suite. Dans cette hypothèse vous serez informé par avis motivé. Vous avez la possibilité de contester cette décision devant le Procureur général ;
- engager des poursuites ;
- décider des mesures alternatives aux poursuites, si l’infraction justifie une réponse pénale, mais pas des poursuites.
En cas de classement sans suite ou d'absence de réponse dans un délai de 3 mois suivant votre plainte, vous pouvez vous constituer partie civile avec saisine du juge d'instruction...
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