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28 / 04 / 2011 | 572 vues
Didier Porte / Membre
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Grève : l’occupation des locaux peut être licite en cas de fermeture sauvage par l’employeur

La grève se définit comme la cessation collective et concertée du travail, en vue de satisfaire des revendications professionnelles.

Dans son arrêt du 9 mars 2011, pourvoi n° 10-11588, la chambre sociale de la Cour de Cassation apporte une pierre d’une taille conséquente à l’édifice complexe du droit de grève : désormais, il est établi que l’occupation d’une unité de production ne permet pas nécessairement à l’employeur d’obtenir une ordonnance de référé d’expulsion des grévistes.

  • En termes juridiques, il n’y a pas nécessairement de trouble manifestement illicite en cas d’occupation des locaux.

L’employeur saisit ici le juge des référés, comme souvent en cas d’occupation, afin d’obtenir l’expulsion des grévistes. En droit, le juge des référés statue afin d’obtenir une décision rapide par voie d’ordonnance, sans pouvoir se prononcer définitivement sur le fond du litige. Il ne doit se prononcer que sur la présence d’un « trouble manifestement illicite » qu’il pourra ensuite faire cesser (article 809 du code de procédure civile). C’est ce trouble manifeste qui justifie la rapidité, conséquence entre autres de l’affaiblissement du contradictoire. En l’absence d’un tel trouble, à l’inverse, rien ne justifie la procédure d’urgence et un contentieux au fond peut s’engager selon la procédure habituelle, plus longue mais qui a l’avantage de permettre une évaluation bien plus sérieuse des droits en présence et des demandes des parties. En l’occurrence, le recours au référé permet à l’employeur d’obtenir une décision exécutoire dans les jours (voire les heures) qui suivent.

À l’inverse, une décision suivant la procédure classique, même avec un délai raisonnable, devant une juridiction non surchargée, prend au minimum des mois : la grève a toutes les chances d’être terminée depuis longtemps quand la décision intervient, cette dernière perdant son opportunité dans le litige en question. Les solutions pratiques au sein de l’entreprise se prennent alors avant que le juge n’ait pu décider quoi que ce soit. On comprend tout l’intérêt de la procédure de référé pour les employeurs ; mais aussi où se situe la défense des salariés grévistes. Car encore faut-il que le blocage soit manifestement illicite, c’est-à-dire que son illicéité ne se prête à aucune contestation sérieuse ! Les droits et libertés en jeu sont d’un côté le droit de grève, de l’autre la liberté du travail des non-grévistes ou encore la liberté d’entreprendre (déclinaison du droit de propriété).

Le juge a déjà estimé que ne constitue pas un trouble manifestement illicite, une occupation purement symbolique des locaux, sans entrave à la liberté du travail (Cass. soc., 26 février 1992, n° 90-40.760).

  • En revanche, le fait d’interdire l’entrée de l’usine à quiconque, du directeur au personnel non gréviste, a été considéré comme un trouble manifestement illicite, faisant sortir le mouvement de la protection accordée au droit de grève (Cass. soc. 21 juin 1984, n° 82-16596). À cette occasion, il avait été dit que « le droit de grève n'emporte pas celui de disposer arbitrairement des locaux de l'entreprise ». Pas dans certains cas...

En effet, dans l’espèce de l’arrêt du 9 mars, l’employeur qui constatait le blocage d’une unité de production, avait auparavant décidé de fermer celle-ci… Sans même prendre la peine d’informer et de consulter les salariés ! Le juge des référés constatait donc que la fermeture unilatérale (par ailleurs très probablement constitutive d’un délit d’entrave) était de son initiative. L’employeur procédait en outre à une sorte de « lock-out », puisqu’il avait défendu aux salariés d’accéder à l’unité fermée. Il y avait donc fermeture « sauvage ».

  • Selon la chambre sociale, l’occupation n’est pas, dans ce cas, manifestement illicite.

Elle rappelle que le juge a constaté l’absence « de dégradation du matériel, de violence, séquestration ou autre comportement dangereux » à l’égard du personnel. Dès lors, il n’y a pas d’ordonnance de référé et la licéité du mouvement ne pourra être infirmée que par une décision au fond selon la procédure habituelle ; elle reste donc incertaine juridiquement.

Si cette décision n’affirme pas la licéité de l’occupation, ce qui ne relevait pas des pouvoirs du juge des référés (conditionnant eux-mêmes la portée du pourvoi), elle en indique toutefois clairement la possibilité théorique. L’occupation licite par les grévistes n’est donc pas nécessairement symbolique !

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