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Fermeture partielle de Tioxide à Calais : supprimer des emplois sans se donner la peine de prouver que c’était la seule solution
Avis rendu par le comité d'entreprise du mardi 30 juin, expurgé des informations confidentielles.
Le comité d’entreprise de Tioxide Europe SAS a été informé le 12 février 2015 de la décision du groupe Huntsman de fermer la section noire et les services associés du site de Calais.
Le motif économique invoqué est « est celui de la nécessité de sauvegarder la compétitivité d’un secteur d’activité du groupe.
Le secteur d’activité concerné est celui exploité dans le cadre de la division « pigments & additifs » du groupe Huntsman dont la majeure partie de l’activité est consacrée à la production et à la commercialisation de dioxyde de titane (TiO2).
Le comité d’entreprise ne peut faire abstraction du poids de la décision du groupe de vendre le brevet du TR 52 pour lui permettre l’acquisition des activités de Rockwood en 2014.
Il convient d’ailleurs de souligner que la société Huntsman n’a pas été transparente dans cette affaire, l'effet transnational qui est aujourd’hui une évidence puisque ce rachat a conduit à une surcapacité de production de TiO2 dans le groupe ainsi constitué avec comme facteur aggravant la cession du TR52.
En effet, en rachetant ces actifs de Rockwood, Huntsman a dû se séparer de la production d’environ 35 000 tonnes de TR52, produits uniquement sur le site de Calais, mais a acquis 3 usines de TiO2 qui apportent une capacité supplémentaire de 340 000 tonnes à une capacité mondiale déjà existante d’environ 550 000 tonnes.
La société indique aujourd’hui qu’elle a tenté de vendre le site dans sa totalité suite à sa décision prise en mars 2014 de céder le brevet TR52.
Le comité d’entreprise n’aurait-il pas dû être consulté à ce moment-là puisqu’il doit être informé et consulté sur toutes les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise et, notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle ».
Une information du comité n’a été faite que lorsque la décision de céder le TR52 était prise, en juillet 2014, il y avait donc entrave manifeste à ses prérogatives.
Ensuite, un droit d’alerte du comité d’entreprise a été voté le 25 septembre 2014, aucune réponse n’a été fournie dans le cadre de cette procédure au cabinet d’expertise mandaté pour cette mission ; à noter que du 31 août au 1er décembre 2014, la société fonctionnait sans réel PDG.
Suite à cette cession, Huntsman avait promis aux salariés de Calais le remplacement des volumes de TR52 par un autre produit mais cela n’a pas été le cas.
- En demandant au site de Calais de lancer des recherches pour trouver un grade de substitution alors que le service recherche et développement du site a été supprimé il y a plusieurs années, nous pouvions déjà déceler une première indication sur sa non-intention de tenir parole.
La transnationalité de la question aurait nécessairement du conduire à une information et à une consultation du comité d’entreprise européen dans les règles de l’art, conformément à l’accord du CEE de 2011, qui n'a de toute évidence pas été respecté malgré les questions répétées de notre représentant à cette instance.
Nul n’est censé ignorer la loi ; Huntsman a volontairement ignoré l’accord en vigueur, probablement pour ne pas voir contrariés ses plans alors que nous aurions du être informés bien en amont afin de pouvoir proposer des solutions alternatives en connaissance de cause.
Après le rachat de Rockwood, acté le 1er octobre 2014, les décisions ont été rapidement prises pour rationaliser la production de TiO2 afin de faire monter les prix et faire dans le même temps des économies d’échelles appelées synergies, en page 14 du rapport Secafi on lit : « alors qu’il a été décidé dès octobre 2014 d’engager une étude sur l’avenir de Calais… ».
Les économies promises par Huntsman aux actionnaires sont assez parlantes :
- XXX millions de $ sur le redressement du marché,
- XXX millions de $ sur les synergies avec Rockwood,
- XX millions de $ par des projets d’expansion.
Et 35 millions de dollars seulement pour la fermeture du site de Calais (à noter que le coût pour la fermeture du site est estimé à 100 millions de dollars !).
Selon les termes du rapport d’expertise du cabinet Secafi mandaté par le comité d’entreprise, on notera que : « le groupe Huntsman affiche une excellente santé financière » et prend des décisions stratégiques de court terme afin de satisfaire ses actionnaires.
En incluant les activités de Rockwood et hors charges exceptionnelles, la section pigments et additifs demeure significativement profitable. » Les économies de 35 millions de dollars par rapport à l’ensemble des mesures annoncées par Huntsman ne permet pas de dire que cela va permettre la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise.
On remarque en page 28 du rapport Secafi que tous les producteurs et pas seulement Huntsman ont été affectés par le « creux de cycle ».
En page 6 du rapport Secafi, on note également : « or, ce n’est pas la fermeture d’un site qui modifiera significativement les prix de marché, dixit le groupe ». C’est donc bien l’appétence financière à court terme de Huntsman qui a généré la nécessité de se séparer du site de production de Calais. D’ailleurs, dès le mois qui a suivi l’annonce concernant notre site, la société annonçait une hausse des prix du TiO2 de 150 $ la tonne.
Huntsman a décidé de couper 100 000 tonnes de production et donc de choisir un site à fermer ; le choix s’est porté sur le site de Calais.
Il est aussi étonnant que, dans une logique de réduction de capacité globale de production de TiO2, on lise en page 38 du rapport Secafi qu'« entre 2014 et 2016, l’objectif du groupe est d’augmenter ses volumes de ventes de XXX (confidentiel), soit l’équivalent du site de Calais ».
À noter également l’annonce en juin 2015 d’une restructuration à Greatham, usine anglaise de TiO2 où 35 postes de sous-traitants ont déjà été supprimés en mars dernier et prévoit de supprimer encore XXX (confidentiel) postes en CDI tout en augmentant la production, soit faire plus avec moins.
- Calais était un site reconnu pour être optimal en termes de qualité mais ce qui était un avantage hier est aujourd’hui décrit par la société comme un handicap car la qualité ne serait pas plus rentable que les produits bas de gamme…
Calais a des coûts de production plus élevés, ce qui est a peu près normal puisque le projet MGSO4 n’a pas été mené à son terme : la décision a été actée en 2011, la construction de l’usine s’est faite en 2012, la mise en service en 2013 et en 2014, Huntsman a décidé d’enterrer le projet, mettant en avant un investissement nécessaire prohibitif alors qu’il n’a pas été chiffré et que des solutions sont non seulement envisageables mais réalisables.
Le comité d’entreprise a d’ailleurs interrogé la direction à maintes reprises sur la lenteur de l’avancement du MGSO4 mais n’a pas pris été pris au sérieux.
Le comité d’entreprise a remis à la direction une solution alternative consistant à fonctionner à mi-capacité afin de permettre d’aller au bout du développement du MGSO4 pour finaliser ce projet mais la direction n’a pas pris la peine de la considérer et la chiffrer précisément. Pourtant, le cabinet Secafi précise dans son rapport que : « Huntsman dispose du temps et des moyens pour permettre au site d’envisager un avenir au sein du groupe ou en dehors et cet avenir passe par la conduite à son terme du projet MGSO4, projet visant autant une réduction des coûts, une hausse des volumes de production possibles sur le site, une réduction des rejets et une meilleure valorisation des coproduits ».
La direction n’a pas pris en compte l’évolution de la production du MGSO4 début 2015, arguant une nécessité d’investir 50 millions de dollars supplémentaires sans aucune étude à l’appui et sans aucun chiffrage, alors qu’une nette amélioration a été constatée en passant de 5 à 25 % de taux de marche sans investissement, juste en décidant de fonctionner par « batch » ; dès lors, on constate qu’une poursuite du projet est possible mais pas
souhaitée par le groupe.
Un deuxième argument avancé par le groupe est encore la nécessité d’investir dans une reconversion du site à l’ilménite, cela n’a pas lieu d’être considéré puisque le prix du slag est revenu à un niveau de prix raisonnable. De plus, les synergies permettront de faire des économies d’échelle sur les prix d’achat des matières premières, notamment le prix du slag. Nous avions demandé une estimation sur ce gain mais nous n’avons pas obtenu de
réponse.
La direction a voulu courir deux lièvres à la fois. Le projet MGSO4 (engrais) ne fonctionnait pas et cela ne semblait gêner que les salariés. Notre PDG de l’époque, John Dimas, s’attardait déjà à travailler sur un projet de conversion du site à l’ilménite qui n’avait aucune chance d’aboutir, alors que même en restant au slag avec une unité engrais opérationnelle permettant la suppression de la moitié de l’unité UTE ainsi que l’unité de production « magnolite », comme c’était initialement prévu, le site aurait assurément été rentable.
Concernant les essais de mélange d’ilménite au slag, ils ont toujours été effectués avec « les moyens du bord », en prenant des risques. D’ailleurs, nous avons eu de nombreuses explosions de digesteurs mettant en danger la vie des opérateurs.
L’alimentation des silos de minerai était effectuée indifféremment avec une chargeuse à godets, des strates pouvaient donc se former et le mélange n’était certainement pas très homogène. Une trémie a certes été achetée pour peser et mélanger l’ilménite au slag avant chargement des silos mais n’a jamais été utilisée…
La direction n’a d’ailleurs pas fourni de réponse claire au fait que la tonne de slag facturée à Calais en 2012 par Wyniard, le centre névralgique du groupe, était plus importante que le prix d’achat en direct à QIT voire, selon nous, les salariés de Calais ont donc été lésés d’une participation aux bénéfices cette année-là. Même si la société réfute que ce point soit en rapport avec la décision prise, il est notable que les pertes imputées à Calais aient pu être surévaluées pour la justifier.
Pollution, migrants, pannes
Tout un chapitre du livre 2 est consacré à mettre en lumière le caractère polluant de l’activité du site de Calais. Constitué d’approximations, de fausses affirmations et s’appuyant sur des données obsolètes, il est assez désobligeant de constater que toute cette rubrique est un vulgaire « copier-coller » du site « Wikipedia ».
- Concernant la présence de migrants sur le site, cette situation est notée également comme un facteur aggravant justifiant la décision de Huntsman de porter son choix sur la fermeture de Calais.
Alors que les migrants ont quitté les lieux en mars 2015, 200 000 d'euros ont été dépensés pour clôturer convenablement le site avec une surveillance renforcée, soit après la décision de fermeture du site, alors que John Dimas (alors PDG du site) a été alerté à de nombreuses reprises de trous dans les grillages et n’a pas mis de dispositions en œuvre pour empêcher cette intrusion massive de migrants.
Autre point mis en avant par Huntsman pour justifier sa décision : la non-fiabilité du site de Calais avec des pannes à répétition.
Depuis plusieurs années, la fiabilité est un cheval de bataille. Un poste d’ingénieur fiabilité avait même été créé mais chaque fois qu’il était pourvu, la mission a été détournée sur d’autres sujets sans aucune valeur ajoutée. Notons que beaucoup d’essais ont été réalisés à Calais. Nous avons subi les contraintes qui y étaient liées en termes de dépenses pesant sur nos coûts pour que d’autres sites n’aient plus qu’à les mettre en application.
Les pannes répétitives à l’unité de traitement des effluents sont le fruit de mauvaises décisions puisqu’il a été décidé d’arrêter les opérations d’entretien sur la ligne qui devait cesser quand le MGSO4 serait opérationnel. Mais des erreurs dans la conception du projet, notamment sur l’existence de filtrats très difficiles à éliminer, n’ont pas permis à l’unité de délivrer dans les temps, à noter également une certaine léthargie de l’équipe de direction qui n’a pas su fédérer, passer au-dessus des egos et mettre les moyens humains nécessaires pour assurer le succès de ce projet qui a été élaboré en interne avec des compétences inadaptées à ce type de défi.
Comment la société Huntsman a-t-elle pu considérer la rentabilité future de sites qu’elle a acquis le 1er octobre 2014, avec comme première mesure la suppression d’un tiers du personnel dans chacune de ces usines. Les représentants du personnel de ces unités le disent déjà, il leur sera impossible de produire correctement dans ces conditions.
Concernant les informations demandées par le comité d’entreprise, nous estimons que la société a joué la montre en répondant à côté des questions. D’ailleurs, notre demande d’injonction a reçu une réponse favorable de la DIRECCTE, la société s’est souvent appuyé sur la confidentialité des informations, ce qui n’est pas opposable au comité d’entreprise en toute circonstance et donc abusive.
Huntsman va donc supprimer des emplois sans même se donner la peine de prouver aux salariés que c’était la seule solution. Le coût avancé par les financiers du groupe pour la fermeture de Calais est de 100 millions d’euros !
Cette décision est un véritable séisme compte-tenu de l'effet désastreux non seulement sur les emplois directs mais aussi sur nos sous-traitants, nos fournisseurs et tout le tissu économique calaisien qui est déjà fortement sinistré avec un taux de chômage de 16,2 %, bien supérieur à la moyenne nationale.
Nous estimons que la fermeture totale des installations, difficilement avouée par Huntsman, n’est plus qu’une question de temps étant donné le coût financier pour faire fonctionner uniquement la section blanche du site qui ne peut être une solution durable.
Le rapport du cabinet Secafi met en lumière le transfert des grades XXX et XXX (confidentiel) produits initialement à Calais vers Scarlino (usine italienne du groupe). Il nous a été également confirmé que la section blanche ne produirait qu’entre XX et XXXX tonnes au maximum, soit la moitié de cette unité. Nous pouvons donc penser que seule la transition du TR52 vers la Chine permet à la section blanche de survivre. Le rapport Secafi indique clairement en page 67 : « possible fermeture de la section blanche de Calais vers la fin du premier semestre 2016 ».
- Ajoutons à cela la démission d'Éric Cassisa, PDG arrivé à Calais le 1er décembre 2014, remplacé par Patricia Dumortier qui est à la fois DRH et assurera cette fonction à compter du 1er juillet 2015. La question a été posée par un représentant du personnel au conseil d’administration de savoir si le groupe recherchait un nouveau PDG. La réponse est que ce n’est pas un remplacement destiné à assurer l’intérim. Ici encore, on peut en déduire qu’il n’y a pas de volonté du groupe de pérenniser la section blanche.
Nous demandons que les préconisations du CHSCT soient prises en compte pour le personnel qui va rester. Une attention toute particulière devra être portée à développer leur employabilité dans la perspective de la fermeture prochaine de la section blanche.
Au sujet des postes de sous-traitance, le comité s’est aussi interrogé sur la nécessité de proposer la réintégration de ces emplois.
Il s’avère que, compte-tenu des perspectives, avec une fermeture totale du site à brève échéance, il ne nous est pas apparu opportun d’aller en ce sens.
Nous demandons à la société de prendre l’engagement, en cas de vente de l’unité MGSO4 et/ou l’unité acide, d'insérer une clause dans le contrat de cession avec l’éventuel acquéreur pour que soient rembauchés en priorité les salariés de Tioxide qui auront été licenciés suite à ce plan social.
Sur le plan des risques psycho-sociaux nous avons déjà à déplorer un cas difficile puisque quelqu'un a été licencié pour faute lourde et donc sans aucune indemnité, après avoir cessé de venir travailler peu après l’annonce du plan social. Nous ne pouvons que nous interroger sur ce comportement inhabituel et dont les conséquences sont désastreuses.
D’autres cas d'épuisement professionnel ou de mal-être nous ont été signalés. Précisons qu’environ 20 % du personnel à reclasser a ou va très prochainement quitter l’entreprise alors que celle-ci tourne toujours normalement, ce qui génère un transfert des charges de travail sur les salariés restants. Nous demandons à la direction de prendre des dispositions pour ne pas charger le baudet.
Le comité estime que le risque d’avoir d’autres salariés en détresse est important et il faut absolument prendre en compte cette dimension pour les mois qui viennent.
De plus, travailler en se demandant quand le couperet final va tomber (fermeture de la section blanche) ne peut être qu’un facteur aggravant générant des risques de décrochage avec des conséquences qui peuvent être suffisamment graves pour que la direction en tienne compte et prenne toutes les mesures nécessaires de prévention.
Le comité d’entreprise conteste avec force cette décision de fermer la section noire et ses services associés, qui n’est pas justifiée par un intérêt économique vital pour Huntsman. Ces licenciements qui sont en réalité des licenciements boursiers ne reposent en aucun cas sur une cause réelle et sérieuse.