Organisations
Élus, syndicalistes, avocats, associations et inspecteurs du travail se mobilisent pour sauver les CHSCT
Les propositions du MEDEF sur la « modernisation du dialogue social dans les entreprises » pourraient sonner le glas des CHSCT. Les opposants au projet pointent un risque pour la santé des salariés. Une catastrophe également pour François Hollande qui pourra dire adieu à l’inversion de sa courbe.
Est-il possible de parler du travail sur son lieu de travail ? On croyait la question tranchée depuis 1982, lorsque Jean Auroux, ministre en charge de la question dans le gouvernement de François Mitterrand, avait expliqué au patronat incrédule, autoritaire ou paternaliste de l’époque que « l’entreprise ne peut plus être le lieu du bruit des machines et du silence des hommes ».
O tempora, o mores… Aujourd’hui, les choses ont bien changé et le MEDEF, ragaillardi par les attentions que lui portent désormais les nouveaux socialistes, reprend l’initiative et aimerait bien en finir avec ces billevesées. C’est en tout cas la grosse envie du patronat français dans son projet d’accord présenté aux organisations syndicales, en vue d’une dernière séance de négociations sur le « dialogue social » avec pour objectif, outre de limiter toute possibilité de représentation du personnel dans les petites entreprises, celui de supprimer les CHSCT au profit d’un « conseil d’entreprise ». Mais attention, cette nouvelle structure aura bien sûr des droits limités notamment concernant le droit à expertise ou le délit d’entrave qui, pourraient êtres tout deux supprimés.
Pour le moment, seules FO et la CGT sont contre ce projet. Les autres syndicats présents dans ces négociations seraient prêts (comme d’habitude) à signer mais ont toutefois du mal à l’assumer ouvertement (comme d’habitude). Ainsi, la CFDT, contactée par le journal Le Parisien pour donner sa position sur ce sujet crucial, n’a voulu donner suite. Étrange...
Pour l’avocat spécialisé en droit social, Samuel Gaillard, « ces propositions patronales entraîneraient une déflagration sans aucun précédent, un retour en arrière phénoménal, un anéantissement pur et simple des institutions représentatives du personnel qui ne seraient plus désormais que des marionnettes. Nul doute que les syndicats subiraient alors le même sort ».
Rappelons que l’ambition des fameuses lois Auroux était de mettre à égalité de dignité, le pouvoir et le contre-pouvoir dans l’entreprise. Pour ce faire, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ont été créés. Il s’agissait, grâce à ces institutions représentatives du personnel originales, de redonner la parole sur leur travail à ceux qui le réalisent et d’intervenir sur les conditions de travail par le biais de représentants élus. Les lois Auroux ont ainsi donné aux CHSCT un pouvoir dont ne dispose aucune autre instance élue du personnel : celui de dire et de réclamer en justice, au nom des salariés, l'application de toute mesure destinée à protéger la santé des travailleurs, lorsqu'il arrive que celle-ci est mise à mal par des méthodes de management ou des objectifs d'entreprise.
Sans ces lois, sans ce droit et sans les expertises des CHSCT qui l'appuient, Didier Lombard (ex-PDG d'Orange) n'aurait jamais pu être mis en examen pour des méthodes de « management par la terreur » dénoncées par les salariés de l'entreprise. Le patronat n’a donc de cesse, depuis de nombreuses années, de vouloir enrayer cette évolution, notamment depuis « l’arrêt Snecma » du 5 mars 2008.
En effet, par cet arrêt, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel le juge pouvait suspendre la mise en œuvre d’une réorganisation lorsqu’elle était de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés, obligation dite de résultat. « Il s’agit là d’une jurisprudence essentielle qui, pour la première fois, posait le principe selon lequel le pouvoir de direction de l’employeur, jusqu’ici sans aucune limite, était désormais subordonné au principe d’ordre public de la santé et de la sécurité des salariés », rappelle Samuel Gaillard.
Une véritable révolution que n’avait pas manqué de souligner la revue spécialisée Liaisons sociales en relevant que les CHSCT étaient devenus la « nouvelle bête noire des employeurs », dans un article de 2008. Sur le même thème, le journal Le Monde lui emboîtait le pas quatre ans plus tard. On comprend donc l’empressement du MEDEF à mettre fin à ce calvaire.
Mais plus gênant pour le gouvernement, la suppression des CHS-CT pourrait avoir des conséquences sur les chiffres du chômage. « En effet, si la fusion des délégués du personnel, du comité d’entreprise et du CHSCT, dans ce nouveau « conseil d’entreprise » de nombreux représentants du personnel vont ainsi perdre leur mandat et une grande partie d’entre eux, il faut s’y attendre, également leur emploi », pointe Samuel Gaillard. « Ils pourront certes solliciter des dommages et intérêts en saisissant le Conseil de Prud’hommes pour arguer du fait que leur licenciement était en lien avec leurs anciennes fonctions de représentants du personnel mais leurs avocats devront d’abord leur apprendre la vertu de la patience » (lire ici).
Et l’avocat de prédire « puisqu'internet permet aujourd’hui un traçage des activités syndicales des salariés, puisque tous les chasseurs de têtes appellent constamment les anciens employeurs pour obtenir des informations sur les états de service du chômeur, on peut se douter que cela va aboutir à une catastrophe sociale sans précédent, pour plusieurs milliers voire plusieurs dizaines de milliers de représentants du personnel », prévoit ainsi Samuel Gaillard. Une catastrophe également pour François Hollande qui pourra dire adieu à l’inversion de sa courbe.
En tout cas, la tentative de suppression des CHS-CT fait suite à la volonté des pouvoirs publics d’affaiblir la médecine du travail ou les Prud’hommes. Un véritable travail de sape pour les droits des salariés de la part d’un gouvernement qui, il est vrai, veut rétablir le travail de nuit chez Séphora ou le dimanche partout ailleurs sous couvert d’activité touristique.
Une situation ressentie comme une attaque par de nombreuses personnalités qui ont lancé il y a quelques semaines « l'appel à la défense des CHSCT ». Parmi les signataires, Jean Le Garrec, ancien ministre du Travail, grand nombre de leadeurs syndicaux (Jean-Claude Mailly, à la tête de FO, Éric Aubin, de la CGT), mais aussi Dominique Méda, sociologue de renom, l'ancienne juge chargée des dossiers de santé publique Marie-Odile Bertela Geoffroy, des médecins du travail, des infirmières... De leur point de vue, rappelle Le Parisien, non seulement les CHSCT ne seraient plus autonomes, ce qui les affaibliraient, mais de tels changements marqueraient la fin des expertises indépendantes.
Actuellement, en cas de risques psychosociaux, le CHSCT peut en effet faire appel à un expert indépendant.
Mais c’est une autre initiative qui est en train de prendre de l’ampleur. Un collectif de défense de la santé des travailleurs, composé de chercheurs, d' inspecteurs du travail, de syndicalistes, d' experts des CHS-CT et d' associations vient de lancer une pétition en ligne qui a déjà recueilli plusieurs milliers de signatures (lire ici).
- Santé au travail parrainé par Groupe Technologia