Organisations
Du changement dans le processus électoral
Le processus électoral en entreprise fait l’objet d’un encadrement précis par le Code du travail. En effet, au titre des articles L.2314-23 et L.2324-21 du même code, les modalités d’organisation et de déroulement des élections doivent être fixées, par accord entre l’employeur et les organisations syndicales intéressées, dans un protocole préélectoral. Les articles L.2314-3-1 et L.2324-4-1 du Code du travail précisent par ailleurs que la validité de cet accord est subordonnée à une condition de double majorité : le protocole doit être signé par la majorité des organisations syndicales ayant participé à sa négociation, dont les organisations syndicales représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles.
Mais que se passe-t-il si des syndicats quittent la table des négociations ? Comment doit-on alors calculer la majorité ? Ces questions ont leur importance car la non-validité du protocole préélectoral autorise une partie à saisir l’autorité administrative pour trancher un certain nombre de questions dont le périmètre de l’élection, la répartition des sièges et des électeurs dans les collèges. Il faut donc déterminer les conséquences d’une telle saisine au regard du processus électoral.
Par un arrêt de principe de la chambre sociale rendu en date du 26 septembre 2012 (Cass. soc., 26 septembre 2012, n° 11-60.231 P+B+R+I), qui figurera dans son rapport annuel, la Cour de Cassation sanctionne le tribunal d’instance de Puteaux pour avoir décidé, dans son jugement du 6 juillet 2012, que les élections professionnelles litigieuses étaient valides.
Dans cette affaire, des négociations ont été engagées en vue de l’organisation d’élections professionnelles au sein de la société Avis. Deux des quatre syndicats invités ont quitté la table des négociations, dont le syndicat CFTC de la métallurgie des Bouches-du-Rhône. Un accord préélectoral a finalement été conclu le 22 avril 2011 entre l’employeur et les organisations syndicales restantes. Le syndicat CFTC a alors saisi la DIRECCTE (direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) afin que soient déterminés le nombre et le périmètre des établissements distincts pour les élections. Mais le processus électoral s’est poursuivi et la DIRECCTE a rendu deux décisions postérieurement à la tenue des élections.
Le syndicat CFTC a alors saisi le tribunal d’instance de Puteaux d’une demande d’annulation des élections, contestant, entre autres, la validité du protocole préélectoral. Les juges du fond ont débouté le syndicat de ses demandes et ont reconnu la validité des élections litigieuses. En effet, la juridiction de première instance a considéré que le « le départ (des deux organisations syndicales) a eu pour effet nécessairement de réduire le nombre des participants à la négociation et que c’est à bon droit que l’employeur a estimé que le protocole avait ainsi été signé à l’unanimité des organisations syndicales présentes […] et […] que l’intervention de l’autorité administrative ne peut avoir pour effet de modifier le scrutin qui pouvait se poursuivre en toute régularité ». La CFTC a formé un pourvoi à l’encontre de cette décision.
Pour casser le jugement du tribunal d’instance, la Haute juridiction apporte dans un premier temps une précision notable sur la notion de participation pour la condition de double majorité. Elle retient que « doivent être considérées comme ayant participé à la négociation les organisations syndicales qui, invitées à celle-ci, s’y sont présentées, même si elles ont ensuite décidé de s’en retirer ». De ce fait, il suffit qu’un syndicat se soit présenté à une négociation du protocole préélectoral pour que sa participation soit prise en compte pour déterminer s’il y a eu respect ou non de la condition de signature par la majorité des organisations syndicales prévue par le Code du travail.
En cas de litige, c’est au tribunal d’instance, juge naturel de l’élection, de se prononcer sur la validité ou non du protocole. Mais s’il est certain que le protocole n’est pas valide, et que personne ne le conteste, l’autorité administrative pourra se prononcer sur les demandes qui lui sont faites sans que la saisine préalable du tribunal d’instance soit nécessaire.
La reconnaissance de la non-validité du protocole préélectoral n’est donc pas sans conséquence puisqu’elle autorise une des parties à la négociation à saisir l’autorité administrative (la DIRECCTE) afin que soit déterminé le périmètre de déroulement des élections, la répartition des électeurs dans les collèges ou la répartition des sièges entre les collèges. C’est ce qu’avait reconnu le Conseil d’État dans une décision du 31 mai 2012 (CE, 31 mai 2012, n° 354186), précisant par la même occasion que la décision de la DIRECCTE devait intervenir avant la tenue des élections et, à défaut, que ladite décision serait dépourvue d’effet.
Dans notre affaire, la Cour de Cassation apporte deux précisions importantes quant aux effets de la saisine de l’autorité administrative. Confirmant la possibilité de saisir la juridiction administrative en l’absence protocole préélectoral valide, la Haute juridiction innove en jugeant, d’une part que la saisine de la DIRECCTE emporte suspension du processus électoral (et ce jusqu’à la décision de cette dernière) et d’autre part que cette suspension entraîne « la prorogation des mandats en cours jusqu’à la proclamation des résultats du premier tour du scrutin ».
- En d’autres termes, dès lors qu’il y aura saisine de la DIRECCTE, la mise en place des élections professionnelles sera suspendue et l’employeur sera par la suite tenu d’organiser ces élections conformément à la décision de la DIRECCTE. Cela aurait pu être préjudiciable pour les élus dont les mandats auraient expiré durant le délai de suspension. Mais pour faire échec à toute incertitude, la Cour de Cassation innove et pose clairement la saisine de la DIRECCTE en nouveau motif de prorogation automatique des mandats en cours.
Jusqu’à présent, la jurisprudence considérait que seul un accord unanime permettait de proroger des mandats. Désormais, ce ne sera plus le cas. Cette décision marque ainsi une petite révolution dans le fonctionnement du processus électoral dans l’entreprise.