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Compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP) : une avancée sociale déjà bridée
La loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 « garantissant l’avenir et la justice du système de retraites » a introduit la mise en place d’un nouveau dispositif de prise en compte de la pénibilité au travail. Les projets de décrets (qui sont désormais parus au Journal Officiel ces derniers jours) venant le préciser ont été portés à la consultation des interlocuteurs sociaux au début de l’été.
La loi promulguée le 20 janvier 2014 prévoit les grandes lignes de la prise en compte de la pénibilité :
- l’entrée en vigueur d’un compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP) au 1er janvier 2015 (date partiellement repoussée par décret) qui concernera tout salarié du secteur privé exposé à un facteur de pénibilité ;
- son financement par les entreprises en fonction de leur niveau de pénibilité, c’est-à-dire, une cotisation minimale de toutes les entreprises et une cotisation tenant compte de la pénibilité qui leur est propre ;
- l’alimentation du compte en nombre de points pour chaque trimestre d’exposition ;
- l’utilisation de ces points, par le travailleur afin de s’extraire de conditions de travail difficiles, en :
- suivant des formations permettant de se réorienter vers un emploi moins pénible ;
- finançant un maintien de rémunération lors d’un passage à temps partiel en fin de carrière ;
- bénéficiant de trimestres de retraite.
Les facteurs de risques qui alimentent le compte en points
- Au titre des contraintes physiques marquées : les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles définies comme position forcée des articulations, les vibrations mécaniques.
- Au titre de l’environnement physique agressif : les agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées, les activités exercées en milieu « hyperbare », les températures extrêmes et le bruit.
- Au titre de certains rythmes de travail : le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes, le travail répétitif caractérisé par la répétition d’un même geste, à une cadence contrainte, imposée ou non par le déplacement automatique d’une pièce ou par la rémunération à la pièce, avec un temps de cycle défini.
Des décrets publiés au Journal Officiel du 10 octobre ont précisé ce dispositif. Ils ont fait l’objet d’une consultation des interlocuteurs sociaux au sein de nombreux conseils au mois de juillet (conseil d’orientation sur les conditions de travail, commission accidents du travail et maladies professionnelles, conseil d’administration de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie…).
Les délégations FO ont émis un avis défavorable à l’encontre de ces projets qui ne garantissent nullement « la justice du système de retraites ».
En effet, le dispositif tel qu’il est conçu aujourd’hui ne permet pas une compensation décente et juste aux travailleurs exposés à des conditions de travail difficiles ; pas plus qu’il ne permet un renforcement de la prévention des risques professionnels.
Les seuils d’exposition
Concernant l’examen des projets de décrets, la question principale qui se posait à nous était de savoir si, oui ou non, la fixation des seuils d’exposition (aux facteurs de pénibilité) permettrait aux travailleurs de rentrer dans le dispositif ou si ceux-ci, trop élevés, excluraient, de fait, de nombreux salariés, pourtant réellement confrontés à des conditions de travail « pénibles ».
Rappel : la loi du 20 janvier 2014 prévoit que l’employeur doit établir une fiche de prévention des expositions.
Cette dernière doit préciser :
- les conditions de pénibilité résultant des facteurs auxquelles le travailleur est exposé,
- la période au cours de laquelle l’exposition est survenue,
- les mesures de prévention mises en œuvre par l’employeur pour faire disparaître ou réduire l’exposition.
Cette fiche concerne tout travailleur exposé à un facteur de risque au-delà d’un certain seuil. Le décret « relatif à la traçabilité de l’exposition des travailleurs à la pénibilité » (qui forme le cœur du dispositif) concerne donc la fixation des seuils d’exposition. Ce texte ne nous donne pas satisfaction et provoque même notre indignation.
En effet, les seuils retenus ne sont pas ambitieux par rapport à ceux déjà fixés dans le Code du travail. Ceci est d’autant plus incompréhensible que les travailleurs sont exposés à ces risques de façon très intense et prolongée (exigence d’exposition de 900h/an, 120 nuits/ an, 30 actions techniques ou plus/minute)…
La définition du travail de nuit est même restreinte par rapport à celle du Code du travail. Ce dernier considère comme travail de nuit, les activités professionnelles exercées entre 21h00 et 6h00, tandis que le projet de décret retient une heure de travail entre 0h00 et 5h00.
De plus, les seuils mais aussi les intensités ou durées minimales seront difficiles à évaluer : comment prouver qu’un salarié maintient ses bras au-dessus de ses épaules ou qu’il se trouve dans des positions du torse fléchi à 45° et ce, durant 900 heures par an ?
Que dire du report partiel de l’ouverture du CPPP pour certains facteurs de pénibilité ?
La loi prévoyait en effet que le CPPP entrerait en vigueur au 1er janvier 2015… Or, cédant aux pressions patronales (et ce, à la veille de l’examen des textes par les interlocuteurs sociaux), le gouvernement a reporté cette mesure au 1er janvier 2016 s’agissant de 6 facteurs (postures pénibles, manutentions manuelles de charges, bruit, expositions aux agents chimiques dangereux, vibrations mécaniques et températures extrêmes).
Acquisition et l’utilisation des points inscrits sur le CPPP
Cette attitude gouvernementale, qualifiée de mépris par notre organisation, nous a poussés à refuser d’examiner les projets de décrets.
Concernant le décret « relatif à l’acquisition et l’utilisation des points inscrits sur le CPPP », c’est la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et les caisses de son réseau qui sont chargées de la gestion du CPPP.
Ainsi, elles enregistreront les points sur la base des déclarations de l’employeur et elles devront informer annuellement les travailleurs du nombre de points qu’ils auront acquis. Les points accumulés pourront être utilisés de 3 façons différentes (formations professionnelles, complément de rémunération en cas de passage à temps partiel ou majoration de durée d’assurance permettant un départ anticipé à la retraite).
L’employeur doit déclarer à la CNAV, pour chacun de ses travailleurs exposés à un ou plusieurs facteurs de pénibilité, les données relatives à ces expositions :
- au terme de chaque année civile et au plus tard le 31 janvier de N+1 pour les titulaires d’un contrat de travail dont la durée est supérieure ou égale à une année civile ;
- au terme de chaque année civile, pour les salariés titulaires d’un contrat de travail dont la durée est supérieure ou égale à un mois.
Les travailleurs dont le contrat est supérieur ou égal à un an, acquièrent :
- 4 points pour l’exposition à un facteur de risque professionnel ;
- 8 points pour l’exposition à plusieurs facteurs. Pour les travailleurs dont le contrat dure au moins un mois et débute ou s’achève en cours d’année civile, ils pourront cumuler, sur une période de 3 mois :
- 1 point pour l’exposition à un facteur de risque professionnel ;
- 2 points pour l’exposition à plusieurs facteurs.
L’utilisation des points
Le plafond du CPPP est fixé à 100 points. Les 20 premiers points sont réservés à la formation professionnelle.
Les points peuvent être utilisés :
- 1 point = 25 heures de formation professionnelle en vue d’accéder à un emploi moins pénible ;
- 10 points = complément de rémunération pour une réduction du temps de travail égale à 50% pendant 3 mois ;
- 10 points = un trimestre de majoration de durée d’assurance.
Attention : seuls 8 trimestres (soit 2 ans) sont accordés au titre de la majoration de durée d’assurance pour ouvrir droit à la retraite. Par ailleurs, cette anticipation aura un effet négatif sur le montant de la retraite complémentaire.
Dans un contexte où la vie professionnelle s’allonge et où l’espérance de vie est conditionnée au métier exercé, il est révoltant qu’un travailleur bénéficie seulement de 2 années d’anticipation pour partir en retraite.
Financement des droits liés au CPPP
Un autre décret est crucial pour notre organisation puisqu’il conditionne la viabilité du dispositif : c’est celui relatif au financement des droits liés au CPPP.
Deux cotisations doivent alimenter le fonds chargé de financer le dispositif.
- une cotisation de base (ou cotisation générique) : celle-ci s’applique à tous les employeurs et doit assurer l’équilibre du système par la solidarité interprofessionnelle. Les entreprises en seront exonérées les 2 premières années (2015 et 2016) et devront acquitter un taux de 0,01 % des rémunérations à compter de 2017, soit un taux 20 fois inférieur au seuil limite prévu par la loi ;
- une cotisation spécifique : qui n’est due que pour les travailleurs pour lesquels le seuil d’exposition annuel est dépassé. Son taux sera de 0,1 % pour 2015 et 2016 et de 0,2 % à compter de 2017. Des taux plus importants sont prévus en cas de poly-expositions.
Encore une fois, nous déplorons les pressions patronales visant à amoindrir leur participation dans la lutte contre la pénibilité. Cette déresponsabilisation des employeurs affaiblit, une fois de plus, un dispositif déjà trop fragile.
Reviendrait-il finalement aux citoyens de financer la prévention des risques professionnels qui dépent du seul pouvoir (ou bon vouloir) de l’employeur ?
Prévention
Enfin, le décret relatif aux accords en faveur de la prévention de la pénibilité.
À compter du 1er janvier 2018, il abaisse à 25 % (contre 50 % aujourd’hui) la proportion de salariés exposés au-delà des seuils de pénibilité qui déclenche l’assujettissement à l’obligation de négocier. De plus, le décret renforce les thèmes obligatoires de négociation afin d’accentuer les actions de réduction des expositions.
Pour nous, le compte personnel de prévention de la pénibilité est une avancée sociale indéniable.
Toutefois, tel qu’il est conçu aujourd’hui et détaillé par les décrets, il ne permet pas de remédier à l’injustice des conditions de travail difficiles.
Les salariés usés et dont la santé a été dégradée directement par le travail ne jouiront pas d’une retraite décente ; le dispositif échoue et se révèle donc insuffisant.
Accorder 2 ans à des travailleurs qui ont été exposés toute leur vie professionnelle, c’est donner une aumône.
Au mieux, un travailleur usé du fait de la pénibilité partira à 60 ans, ce qui était le cas de tous les salariés auparavant ! En la matière, il ne s’agit donc nullement d’un progrès.
Nous refusons de nous en contenter !
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