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05 / 02 / 2014 | 1 vue
Didier Cozin / Membre
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Compte personnel de formation : tout est-il réellement dit dans le texte de loi ? - I

Un peu partout dans les médias depuis le début de l’année, des observateurs et des hommes politiques se félicitent de la dernière trouvaille des partenaires sociaux et de sa prochaine traduction en texte de loi : le compte personnel de formation. Celui-ci serait le pilier ou le cœur de la réforme, « simple pour les particuliers, simple pour les entreprises ». Un « indéniable progrès » selon les laudateurs du projet, permettant à la France de reprendre pied dans la société de la connaissance et de l’information.

Pourtant, certains s’inquiètent déjà qu’on les ait pris au mot. « Le Medef s’inquiète d’un délai supplémentaire dans la mise en œuvre de la réforme […]. il rappelle que, dans la situation d’urgence économique de la France, tout retard dans l’application des réformes résultant d’un accord entre partenaires sociaux est nuisible pour la croissance et l’emploi. Cette réforme doit donc s’appliquer dès le 1er janvier 2015 et il n’est pas raisonnable d’attendre le printemps 2016 pour que des dispositions clefs entrent en vigueur : financement dédié du CPF, 1 % formation… »

Dans ce vieux pays, classé désormais 22ème sur 24 par l’OCDE pour ce qui est des compétences des adultes, la loi réformant la formation a-t-elle la moindre chance d’améliorer le sort professionnel des millions de travailleurs disqualifiés par la société de la connaissance et de l’information ? Il est permis d’en douter.

Partant du texte discuté la semaine dernière en commission des lois et du rapport d’impact diffusé par les pouvoirs publics, nous avons tenté de dresser la liste (non exhaustive) des questions et points litigieux qui pourraient bien empoisonner la formation professionnelle continue pour de nombreuses années.

Le rôle et la responsabilité de l’État

  • Quand l’État publiera-t-il ses 9 décrets nécessaires (selon l’étude d’impact du Ministère du Travail) à la mise en œuvre du CPF ? Pourquoi tant de décisions remises à plus tard pour un dispositif qui se prétend simple ?


Pourquoi ne pas avoir mentionné dans le texte de loi toutes les règles du futur CPF ?
Le DIF avait son mode d’emploi complet dès le vote du 4 mai 2004 ; le CPF, lui, devra attendre :

  • un décret en Conseil d’État pour définir les conditions d’abondement du CPF par le compte personnel de prévention de la pénibilité ;
  • un décret déterminant les formations éligibles au CPF visant à acquérir un socle de connaissances et de compétences mentionné au 4° de l’article L 6323-5 ;
  • un décret en Conseil d’État pour la mise en place du traitement automatisé de mise en œuvre et du système d’information dédié au CPF ;
  • un décret pour définir le contenu du passeport d’orientation, de formation et de compétences ;
  • un décret en Conseil d’État pour fixer le montant de la somme forfaitaire correspondant à 100 heures, due par l’employeur à son OPCA pour abonder le CPF d’un salarié n’ayant pas bénéficié des entretiens professionnels ou d’au moins deux des trois mesures (formation professionnelle, évolution salariale ou d’emploi…) prévues législativement durant une période de six ans ;
  • un décret précisant le délai de réponse de l'employeur sur les demandes de formation suivies tout ou partie pendant le temps de travail ;
  • un décret déterminant les modalités de la prise en charge des frais de formation pour les salariés des entreprises non couvertes par un accord d'entreprise ;
  • un décret en Conseil d’État pour définir les conditions d’élaboration des listes des formations éligibles au CPF ;
  • un décret en Conseil d’État pour définir les conditions de transfert et d’utilisation des heures accumulés au titre du DIF.

Les questions concernant la gestion du compte par la Caisse des Dépôts

Existe-il un cahier des charges complet du CPF et que contient-il ? Pourquoi seule une esquisse a-t-elle été produite par l’IGAS en novembre 2013 alors que l’État avait demandé un rapport complet sur la faisabilité de l’ensemble ? Quels seront les moyens humains, financiers et techniques consacrés à ce très complexe dispositif ? Quelle somme sera dévolue pour faire tourner les compteurs tous les ans : 10, 100 millions ? Un montant indéterminé pour un chantier improvisé ?

Comment et avec quelle expertise sera piloté le compteur formation ? La Caisse des dépôts sera-t-elle le seul opérateur ? Pourquoi l’État n’a-t-il pas lancé un appel d’offres en mettant en concurrence des opérateurs privés et publics ?

Quel échéancier pour le déploiement du CPF ? Combien de salariés pourront réellement utiliser leur compte formation en janvier 2015 (1 %, 10 %, 100 % des personnes concernées) ? Si le chantier prend du retard (sait-on jamais) que deviendra le milliard d’heures de DIF et les compteurs DIF tenus depuis 2004 par les employeurs ? Ce milliard d’heures, patiemment accumulées, par les salariés seront-elles  perdues à jamais ?

Les questions concernant la comptabilisation des heures

Comment faire pour calculer sans risque d’erreurs année après année, mois après mois (pour les plus précaires) les droits à la formation pour 20 millions de titulaires avec une vingtaine de contrats de travail ou de statuts différents ?

Quand démarreront effectivement les compteurs : le 1er janvier 2015 ? En 2016 ? Au lendemain de la parution de la loi au Journal Officiel ? D’après la loi, la comptabilisation se fera à des niveaux variables (20 heures les six premières années puis 15 heures les 2 années suivantes et au prorata du temps de travail mensuel + des abondements spécifiques) mais comment déterminer quelle sera la première année de démarrage pour chaque individu ? Est-ce à l’entrée dans la vie active ou à l’entrée dans une entreprise ? Un salarié vidant son CPF repartira-t-il sur une base de 20 heures par an ou sera-t-il condamné à ne bénéficier que d’un CPF partiel ?

Que se passera-t-il en cas de modification du temps de travail en cours d’année ? D’interruption du contrat de travail (maladie, congé sans solde, congé maternité, chômage partiel…) ? De passages du statut de chômeur à celui de salarié ou d’auto-entrepreneur ?

Un salarié à mi-temps devra-t-il attendre 16 années (12 années à 10 heures puis 4 années à 7,5 heures) pour disposer de son CPF de 150 heures ?

Ce compteur annuel des droits au CPF ne sera-t-il pas des plus complexes à tenir pour les plus précaires, ceux qui justement ont le plus besoin de se former, de disposer avec certitude de leurs droits à la formation et des budgets qui les accompagneront ? Ceux-là ne risquent-ils pas d’être souvent renvoyés à leur poste de travail pour insuffisance de droits ?

Avec quel service dématérialisé (un service internet sécurisé et individuel ?) les salariés seront-ils informés de leur nombre d’heures, du budget formation dont ils disposent, de l’ensemble des formations éligibles au CPF dans leur ville, des places disponibles pour ces mêmes formations, des procédures à suivre pour partir en formation etc. ?

Quelles instances de réclamation seront mises en œuvre pour corriger les inévitables erreurs, oublis, calculs erronés qui se produiront avec la gestion de 20 millions de comptes dès 2015 ?

Qui gèrera et pourra accéder au solde du compteur formation : le salarié, son employeur, l’OPCA, la région, Pôle Emploi ou les organismes de formation ?

Qui décrémentera ou incrémentera les compteurs et au vu de quels documents légaux, selon quelles procédures ?

Les compteurs seront-t-ils mis à jour en permanence ou une seule fois par an (et dans ce cas, comment savoir s’ils ont été utilisés en cours d’année) ?

Les questions concernant le devenir du milliard d'heures de DIF capitalisées depuis 2004


En 2008, la Cour des Comptes avait évalué le prix d’un DIF généralisé à 13 milliards d’euros par an (« pour 12 millions de bénéficiaires à terme le montant global des dépenses pour 20 heures de DIF sur un an serait de 12,95 milliards d'euros : 8,5 milliards de frais pédagogiques et 4,45 milliards pour les salaires »).

À partir de janvier 2015 qui tiendra le second compteur, celui des heures de DIF ? Durant la période intérimaire (6 ans de janvier 2015 à décembre 2020), les salariés pourront utiliser leurs heures de DIF sans préjudice de leurs heures acquises au titre du CPF ; ce second compteur sera-t-il aussi tenu par la Caisse des dépôts. Dans ce cas, quand et selon quelles modalités aura lieu le transfert de l’employeur à l’organisme gestionnaire du CPF ?

Douze millions de salariés ont donc patiemment engrangé une centaine d’heures de DIF en moyenne : les perdront-ils en cas d’insuffisance de budgets ? N’étaient-ils finalement dotés d’un droit virtuel à la formation qui s’éteindra en 2020 s’ils ne parviennent pas à l’utiliser ?

À suivre...

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