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Complémentaire de santé pour tous : encore trop d'exclus
Avec la généralisation de la complémentaire de santé introduite par l’ANI de 2013, 22 millions de personnes bénéficient d’une couverture de santé complémentaire minimale prévue par la loi du 14 juin 2013, dite « de sécurisation de l’emploi ».
Les 400.000 TPE dépourvues de contrats collectifs (soit 10 millions de personnes en tenant compte des conjoints et ayants droit) étaient particulièrement visées par le dispositif.
À compter du 1er janvier 2016, toutes les entreprises ont pour obligation d’assurer leurs salariés par le biais d’un contrat collectif souscrit auprès d’un organisme complémentaire d’assurance maladie, pour un niveau de garanties ne pouvant être inférieur à un panier de soins minimum défini par la loi.
- Les employeurs doivent participer à hauteur de 50 % au moins à son financement.
- Un décret du 11 décembre 20141 a fixé à 2 % minimum le montant de la cotisation qui doit être affecté à la prise en charge de prestations d'action sociale ou au financement d'actions de prévention.
La volonté de généralisation avait notamment pour objectif d’endiguer la renonciation aux soins, plus forte chez les gens ne disposant pas d’une couverture de santé et d’améliorer le niveau de garanties par le biais de contrats collectifs. Pourtant les jeunes, les chômeurs, les inactifs, les retraités et les fonctionnaires en sont exclus, ce qui nous conforte dans l’analyse que nous faisions en 2013 sur l’inutilité de cette « généralisation ».
Pour autant, avec cette obligation, les interlocuteurs sociaux des différentes branches professionnelles ont l’opportunité historique de développer une couverture de santé répondant aux besoins des salariés. Le rôle de la branche professionnelle est primordial en matière de complémentaires de santé et de prévoyance.
Notre organisation syndicale milite pour le développement de « conventions collectives de Sécurité sociale complémentaire », véritables régimes complémentaires créés et pilotés par les interlocuteurs sociaux.
Ces régimes sont facteurs d’égalité de droits pour les salariés d’une même branche, que l’entreprise soit importante ou qu’elle soit une TPE.
Pilotés par les partenaires sociaux, les accords de branche offrent des mécanismes de solidarité entre entreprises d’un même secteur d’activité s’adaptant à leurs spécificités, favorisant la mise en œuvre d’actions de prévention et privilégiant la solidarité (actifs/retraités, salariés à temps plein/à temps partiel). Ils présentent l’avantage de la simplicité administrative et de la sécurité juridique.
Leur périmètre de mutualisation est plus large que celui des contrats d’entreprise.
Au 31 décembre 2016, 137 branches professionnelles ont signé un accord collectif de complémentaire de santé, représentant potentiellement 9,1 millions de salariés (le nombre d’accords était de 69 en 2013). Le montant moyen de la cotisation forfaitaire est de 33 euros, cotisation du salarié seul entre 12 et 56 euros, cotisation avec couverture obligatoire des ayants droit entre 55 et 72 euros.
Contexte législatif et réglementaire de la généralisation
En 2013, la loi de sécurisation de l’emploi a entraîné de manière collatérale la chute des clauses de désignation dans les accords de branche, suite à la censure partielle par le Conseil constitutionnel, livrant les entreprises et les salariés au marché de l’assurance.
Depuis 2014, la fiscalisation de la part employeur des cotisations santé (désormais considérées comme un avantage en nature) augmente les impôts des salariés. En avril 2015, la réforme des contrats responsables a introduit des planchers et des plafonds de remboursement, l’objectif étant de lutter contre l’inflation des dépenses de santé, en plafonnant certaines garanties (principalement les dépassements d’honoraires), tout en garantissant au contraire une prise en charge minimale pour d’autres. Les contrats ne respectant pas ces nouvelles normes subissent une forte hausse de leur taxation.
Si beaucoup de salariés méconnaissent les tenants et les aboutissants des contrats responsables (74 %) beaucoup constatent que leur reste à charge a augmenté et que la limitation réglementaire des remboursements n’a globalement pas poussé les professionnels de santé à revoir leurs tarifs.
Dans le prolongement de la généralisation de la complémentaire de santé, les pouvoirs publics ont introduit deux nouvelles mesures visant plus particulièrement la couverture complémentaire santé des seniors avec les contrats labellisés destinés aux plus de 65 ans.
Les textes d’application relatifs au dispositif des contrats labellisés qui devaient entrer en vigueur au 1er janvier 2017 ont été retirés par le gouvernement.
La révision par décret des dispositions relatives aux contrats de sorties de groupe » dits contrats « loi Évin »
Le décret paru le 21 mars 2017 laisse entendre qu’il n’y aura pas de plafonnement des tarifs pour les retraités dans le cadre de ce dispositif à partir de la 4ème année mais sa rédaction laisse planer le doute.
Pour nous, il est urgent que des explications claires soient données sur la signification de ce décret.
Plus d’un an après l'entrée en vigueur de la généralisation, un bilan d’étape permet de relever quelques tendances, même si les constats varient selon les observateurs. Chacun des acteurs du dispositif se plaint de sa complexité.
- La part de renonciation aux soins (37 %) n’aurait pas bougé depuis 2014.
- L'effet des dispenses d’adhésion dans les TPE/PME est certain.
- Les salariés ne s’estiment pas mieux protégés alors qu’ils subissent une augmentation du reste à charge pouvant devenir critique dans certains cas, notamment lors d’opérations chirurgicales ou d’hospitalisations.
Pour les organismes assureurs, la réforme a secoué le secteur.
Même si le marché n’a pas été totalement bouleversé, les frais d’acquisition ont augmenté du fait de la concurrence.
Selon la DREES, les mutuelles continuent de céder du terrain (-7 points depuis 2011) au profit des sociétés d’assurance (29 %) et des institutions de prévoyance (18 %). Cette tendance serait d’abord liée à la concentration du secteur mais également à l’essor des contrats collectifs.
La loi impose aux employeurs de financer la couverture de santé obligatoire de leurs salariés au minimum à 50 %. Avant 2013, les employeurs qui avaient mis en place cette couverture finançaient le contrat collectif à 57 % en moyenne. Selon les estimations et prévisions diverses (DREES, actuaires), on enregistrerait une régression à un peu plus de 50 %.
Les contrats collectifs ne bénéficient plus, pour la plupart, d’un forfait « famille » gratuit. Sur une cinquantaine d’accords signés depuis 2015, 48 % ne prévoient pas la couverture des ayants droit, un tiers prévoit une couverture facultative des ayants droit à la charge exclusive des salariés, 4 % prévoit la couverture obligatoire des ayants droit.
Un sondage publié en juin 2016 par un comparateur estimait déjà que la couverture minimale avait été choisie par 66 % des entreprises qui avaient eu recours à ce type de service, contre seulement 18 % pour une couverture milieu de gamme et 16 % haut de gamme.
Au premier semestre 2016, 16 % des Français ont déjà souscrit une surcomplémentaire, ce marché représente 1,3 milliards d’euros.
Pour notre organisation syndicale, l’érosion de la mutualisation solidaire favorise la mise en œuvre d’un système à 3 étages (AMO, AMC et surcomplémentaire) institutionnalisant un système à 3 payeurs avec tous les risques que cela suppose.
Une réforme en cours déjà poussée par une autre…
À ce jour, alors que les conséquences de la généralisation ne sont pas encore totalement mesurables et que les organismes assureurs ont consacré beaucoup d’efforts à s’adapter, un nouveau chantier semble vouloir se dessiner avec l’idée proposée pendant la campagne présidentielle de s’orienter vers un contrat type pour les complémentaires de santé, l’objectif étant de rendre les contrats plus lisibles et de faire baisser le reste à charge des patients dont on ne connaît pas le contenu.
Selon nous, à chacun son rôle : les pouvoirs publics doivent garder la main sur l’offre de soins, l’organisation et la fixation des tarifs. Ces derniers devraient être véritablement opposables, ce qui éviterait, entre autres, les dépassements d’honoraires. La complémentaire de santé intervient sur le ticket modérateur.
Nous demandons la suppression des contrats responsables : c’est à la puissance publique de fixer les tarifs, si elle ne le fait pas ; ce n’est pas le rôle des accords collectifs de suppléer. De plus, ce n’est pas une occasion pour les taxer davantage.
1) Décret n° 2014-1498 du 11 décembre 2014 relatif aux garanties collectives présentant le degré élevé de solidarité mentionné à l'article L. 912-1 du code de la Sécurité sociale.
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