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23 / 02 / 2009 | 2 vues
Jacques Fournier / Membre
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A propos des effectifs de la fonction publique

 « On ne peut pas continuer à embaucher parce que la France vit au-dessus de ses moyens. Si on remplace tout le monde qui part à la retraite on ne pourra pas réduire les déficits. Si nous ne remplaçons pas pendant cinq ans un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite, on reviendra au niveau de la Fonction publique de 1992. Monsieur Mitterrand était président de la République, je ne sache pas à ma connaissance qu’en 1992 la France était sous-administrée » (Nicolas Sarkozy, intervention télévisée du 5 février 2009).

Cette présentation est, à plusieurs égards,  particulièrement réductrice de la réalité à laquelle elle prétend s’appliquer. 

« Moins il y a d’agents publics, mieux on se porte »

L’idée sous jacente est qu’un niveau relativement élevé de fonction publique est pour la France un luxe qu’elle ne peut se permettre car il serait « au dessus de ses moyens ». De fait,  dans le modèle de pensée dominant en matière économique, on a tendance à ne pas considérer comme productives les activités non marchandes, mises en œuvre par  les agents publics et financées par les prélèvements obligatoires. Elles sont vues comme faisant peser sur  l’économie du pays une charge qu’il conviendrait de limiter dans toute la mesure du possible. « Moins il y a d’agents publics, mieux on se porte »  pourrait être l’axiome de l’approche libérale en ce domaine.

Il n‘était pourtant  pas nécessaire d’attendre la survenance de la crise  actuelle pour se rendre compte de l’absurdité de cette vision des choses. Tout autant que les activités marchandes, les administrations, les services publics, procurent des avantages à la population et  contribuent à la richesse du pays. L’état de santé, le niveau d’éducation sont des facteurs essentiels du développement. Ce sont des agents publics qui y contribuent pour l’essentiel et il faut bien les payer. Qu’on m’excuse d’énoncer  ici ces évidences. Mais elles sont trop souvent occultées. Il est légitime de contrôler le bon usage de l’argent public et de chercher à limiter les gaspillages, y compris en mettant fin à des sureffectifs. Mais le recrutement d’agents publics n’est pas un gaspillage en soi. Le fonctionnaire n’est pas la danseuse des pouvoirs publics. Il est un instrument indispensable à l’exercice de leurs missions. On ne peut parler des effectifs de la fonction publique sans prendre en considération le rôle que l’on assigne à l’Etat et la qualité des services que l’on attend de lui.

Comparaisons internationales

Il est souhaitable lorsque l’on traite de cette question des effectifs, et surtout si l’on veut faire des comparaisons internationales, d’en prendre  une vision globale, à l’échelle du pays et de l’ensemble des activités qui s’inscrivent dans l’action publique. Chacun sait qu’il existe en France trois fonctions publiques (de l’Etat, territoriale, hospitalière) et que tous les agents publics ne sont pas fonctionnaires. Si l’on additionne toutes ces catégories on arrive à un total légèrement supérieur à 5 millions de personnes en 2005 (5.122.000), soit 21% de l’emploi total (source Jean-Ludovic Silicani, livre blanc sur l’avenir de la fonction publique, avril 2008).

En dépit de 11 années de thatchérisme nos voisins d’outre Manche ont donc conservé un niveau d’emploi public très proche du nôtre. Premier point de comparaison, qui pourra surprendre : le total de l’emploi public au Royaume Uni, là encore toutes catégories confondues, est en 2006 de 5.787.000 personnes soit légèrement supérieur, pour une population du pays comparable à celle de la France (source Service public, le mensuel du ministère français de la fonction publique, n° 131, octobre-novembre 2007). En dépit de 11 années de thatchérisme nos voisins d’outre Manche ont donc conservé un niveau d’emploi public très proche du nôtre.

Une autre étude confirme cette constatation. Elle émane elle aussi d’un service officiel, le centre d’analyse stratégique, (dernier avatar de feu le commissariat général du Plan) dont la « note de veille » n° 96, d’avril 2008, est intitulée « Quelles évolutions de l’emploi public dans les pays développés ». On y compare, pour l’année 2006, le total des emplois dans les administrations publiques (c’est à dire l’ensemble des activités financées par les prélèvements obligatoires) aux effectifs de la population du pays. Le taux obtenu pour la France (93 pour 1000) la situe, selon les auteurs de l’étude, dans une « moyenne haute », à peu près à égalité avec le Royaume Uni , un peu au dessous du Canada ( plus de cent)  et presque à équidistance entre le pays où l’emploi public est le moins développé ( Japon, 41 pour 1000)  et celui où il l’est le plus ( Danemark, 154 pour 1000). Le niveau de l’emploi public en France n’a donc rien d’aberrant. C’est celui d’un pays où les missions des collectivités publiques sont relativement développées sans pourtant atteindre l’intensité qu’elles connaissent dans les pays nordiques.

En France, la part des agents soumis au statut de la fonction publique est plus importante qu’ailleurs. Ce qui par contre différencie la France c’est d’abord le fait que, à l’intérieur de cet ensemble, la part des agents soumis au statut de la fonction publique est plus importante qu’ailleurs. Ils représentent les trois quarts du total alors que dans beaucoup d’autres pays une minorité d’entre eux sont soumis à un statut spécifique. Au Royaume Uni, par exemple, les « civil servants » proprement dits sont un peu plus de 500 .000, soit 10% environ du total, ce qui ne signifie évidemment pas que la rémunération des 90 autres ne pèse pas sur les finances publiques ou qu’ils seraient privés de garanties. L’autre particularité française est que dans leur évolution récente, c’est à dire au cours des 15 dernières années (et, soit dit en passant sous les gouvernements de droite comme de gauche) les effectifs ont continué à croitre, alors que dans beaucoup d’autres pays des programmes de réduction étaient mis en place.  Certains d’entre eux (Royaume Uni, Canada, Nouvelle Zélande) se sont d’ailleurs aperçu qu’ils étaient sans doute allés trop loin dans ce domaine : leurs effectifs ont recommencé à croitre depuis quelques années (même source).

La France sera donc bien, sinon sous-administrée, en tous cas moins-administrée

La norme de non remplacement ne s’applique ni aux collectivités territoriales ni aux établissements hospitaliers.Quand Nicolas Sarkozy annonce qu’il entend ramener les effectifs à ce qu’ils étaient au début de l’année 90, lors du second septennat de François Mitterrand, la justesse de cette affirmation est doublement discutable. La norme du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux ne s’applique en effet qu’à la fonction publique de l’Etat. Or c’est celle dont les effectifs ont le moins augmenté au cours des quinze dernières années : +7.5% entre 1994 et 2005 selon le rapport Siliconai, contre + 31% au cours de la même période pour la fonction publique territoriale et + 16% pour la fonction publique hospitalière. Pendant les mêmes années l’emploi total en France (salariés + non salariés) a augmenté de 12,6 %.Si l’on ne considère que la fonction publique de l’Etat le calcul  de notre Président est exact en valeur absolue : les non remplacements vont sans doute au bout de quelques années faire revenir le nombre des agents publics de l’Etat au niveau de ce qu’il pouvait être en 1992. Mais il est faux en valeur relative : la part de la fonction publique d’Etat dans l’emploi total, lequel s’est développé entre temps, comme il est normal dans un pays en croissance, a d’ores et déjà diminué d’un demi-point. Elle diminuera d’un nouveau demi-point si la norme continue à s’appliquer. La France sera donc bien, sinon sous-administrée, en tous cas moins-administrée, au niveau de l’Etat (et notamment pour ce qui est de l’éducation nationale), qu’elle ne l’était du temps de François Mitterrand.Si l’on considère l’emploi public pris  dans son ensemble la perspective est évidemment différente.

La norme de non remplacement ne s’applique ni aux collectivités territoriales ni aux établissements hospitaliers. Dans ces deux directions le gouvernement va certes s’efforcer de mettre en œuvre d’autres moyens d’action : rationnement des ressources fiscales du côté des collectivités territoriales, nouvelle loi en préparation pour les hôpitaux. Cela risque de faire quelques dégâts. Mais on voit mal, et pour ma part je m’en félicite, qu’il soit possible de revenir complètement sur les évolutions enregistrées dans ces deux secteurs.

Un gouvernement empêtré dans une contradiction

En cette période de crise, où les dogmes qui hier encore paraissaient intangibles sont remis en cause un peu partout, l’entêtement des pouvoirs publics français à maintenir le cap en ce domaine me paraît particulièrement regrettable. Ce n’est pas l’effet mécanique du maintien de 30.000 emplois dans la fonction publique qui est en cause. Il ne peut être, en tout état de cause,  qu’assez limité, encore que l’impact sur les débouchés offerts aux jeunes, l’une des principales préoccupations du moment, ne soit pas nul. Par contre, sur le plan du symbole, la question est d’importance.

Le gouvernement s’est empêtré dans une contradiction : d’un coté il admet la nécessité d’un plan de relance et s’apprête, sans encore le dire expressément, à y inclure des mesures de soutien de la consommation ; d’un autre côté il veut montrer sa volonté de poursuivre les « réformes » qui devront dans son esprit rester pour les générations futures la marque du présent quinquennat.

Le malheur veut que ces « réformes » soient pour une grande part de la catégorie de celles qui sont de nature à aggraver les effets  de la crise plutôt qu’à les contrecarrer. On s’aperçoit aujourd’hui que le modèle social  français, si décrié pendant la campagne présidentielle, constitue un amortisseur utile du ralentissement économique et que la dépense publique peut avoir un effet anticyclique. Plus largement on prend de nouveau conscience du rôle que peuvent jouer les services publics dans l’offre d’un nouveau modèle de développement.

Dans ce contexte un infléchissement intelligent de la politique gouvernementale  devrait être de réorienter le travail entrepris dans le cadre de la RGPP:

  • maintenir les réductions d’effectif là où, résultant d’une meilleure organisation, elles peuvent être opérées sans qu’il en nuise à la qualité des services offerts à la population ;
  • redéployer ailleurs les emplois ainsi récupérés de façon à améliorer le service rendu là où il est aujourd’hui insuffisant. On n’aura à cet égard que l’embarras du choix.
Tout laisse penser, malheureusement que ce ne sera pas la solution mise sur table.

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Tout à fait d'accord avec ce dernier commentaire. On confond en France service public et statut fonctionnaire, comme si un agent de droit privé ne pouvait pas assurer efficacement un service public. Ils sont nombreux dans ce cas et bien souvent de très bonne façon. Par ailleurs, une autre raison de la nécessaire baisse du nombre des agents de statut fonctionnaire, non signalée dans cet article est la charge financière à long terme constituée par les retraites des fonctionnaires, charge qui n'existe pas avec des agents publics sous statut privé.