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08 / 10 / 2012 | 293 vues
Jean Louis Bally / Membre
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À La Poste, les dessous du rapport Kaspar

Article publié par un collectif de Postiers sur l'Observatoire du stress 

Année 2012 : année funeste pour La Poste…
Dix-neuf suicides ou tentatives de suicide en 6 mois, la presse médiatise le suicide de deux cadres supérieurs, survenu sur leur lieu de travail. Ces suicides viennent douloureusement pointer ce qu’on devinait depuis quelques années : les postiers vont mal, malgré les dénégations de la direction de l’entreprise devenue société anonyme en 2010. 


Face à cette crise sociale sans précédent, Jean-Paul Bailly, PDG depuis 2002, a nommé une commission dite « du grand dialogue » au printemps 2012,

 

dont Jean Kaspar rédige le rapport qu'il a publié le 11 septembre 2012. « Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission », disait Clémenceau. Le rapport Kaspar enterre-t-il le problème ? Éléments de réponse…

Ce rapport de 69 pages, se compose de 5 parties : les deux premières parties décrivent la stratégie de réorganisation suivie par l'entreprise depuis 2002 et ses effets humains ; la 3ème partie tente de dresser les limites du modèle actuel ; les parties 4 et 5 proposent une nouvelle transformation et de nouveaux objectifs.

La lecture de ce rapport illustre à elle seule le conflit d’intérêt qui se joue entre les objectifs des dirigeants actuels de l'entreprise et ceux de son personnel :

Le rapport donne une réalité officielle au malaise qui règne à La Poste, dépassant les cas individuels de personnes fragiles ou en échec professionnel, comme aimait à le limiter la direction de La Poste. Le rapport admet aussi l’existence de phénomènes qu’on cherchait à camoufler, comme par exemple la mise des cadres supérieurs au placard.

  • Mais jamais le rapport ne fait de lien entre la dégradation des indicateurs sociaux et l’organisation du travail et du management de l'entreprise. En préalable et en préambule, le rapport décrit et présente la stratégie actuelle de l’entreprise comme la seule option possible, sans considération de la survie de son personnel.

La nécessité d'une refondation sociale


Tandis que la première partie du rapport justifie la politique suivie depuis 10 ans par l'entreprise et reprend l'essentiel de la défense qu'en ont fait Jean-Paul Bailly et son DRH.

Les deux dernières parties du rapport appellent à « un véritable saut qualitatif dans la gestion sociale, sur trois dimensions essentielles : organisation, management et gestion RH ». Vaste programme….

À lire les 8 chantiers proposés, les fondations de l'entreprise semblent atteintes sur des éléments fondamentaux de la gouvernance : à quoi ressemble donc La Poste et sur quoi doivent porter les 8 changement préconisés par le rapport ?

  • La gouvernance de l’entreprise : elle a échappé pour partie au « corporate » sur des valeurs fondamentales.
  • L’organisation du travail : elle apparaît fictive, nécessitant, dans tous les métiers, la révision des normes, des cadences et des cadres.
  • Le modèle social : présenté en étendard mais constamment contourné, il limite les parcours inter-métiers et l’employabilité.
  • Le modèle de management : il doit être repensé dans son profil, ses critères, ses formations, ses évaluations : on découvre qu’un manager doit maîtriser son domaine mais aussi être capable d’avoir des relations humaines de qualité.
  • La fonction RH : elle est jugée trop distante, doit être professionnalisée et animée par un « corporate », garant de l’unité du groupe.
  • Le dialogue social : en miettes, il doit être rénové pour restaurer l’éthique et la confiance.
  • La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au niveau du groupe : elle est anecdotique et non concertée. L’accompagnement des reclassements ne comporte aucune obligation, livrant les salariés à eux-mêmes.
  • La gestion de la santé et de la sécurité au travail : elle relève plus de la stigmatisation que de la prévention, l’accompagnement ou l’aménagement des postes.

Les limites en creux d'un rapport

En voulant ménager à la fois la direction de La Poste et le personnel, le rapport Kaspar ne traite pas au fond la crise sociale de l'entreprise. À aucun moment il ne parle de la souffrance au travail des postiers, à aucun moment il n’évoque la dérive d'un système managérial qui institutionnalise le harcelement... On ne saisit la gravité de la crise que par le biais de ce qui n’est pas dit et ce qui manque.

Jean Kaspar demande aux organisations syndicales de coopérer et de faire confiance, sur la base d’un diagnostic en creux et une stratégie jugée impérative. Mais la confiance ne se décrète pas au travers d’une « rallonge » de moyens dédiés à la représentation syndicale dont on ne garantit ni l'indépendance, ni la liberté.

Les retombées du rapport

Quel est le résultat final du rapport  Kaspar ? Cinq mille emplois nouveaux sur deux ans, dont 2 000 pour les syndicats, et le renforcement du pouvoir des dirigeants responsables de la situation actuelle.

Cinq mille nouveaux emplois sur deux ans ? Bravo mais sans les situer dans une GPEC (gestion prévisionnelle des emplois) : on s'apercevrait que c'est le rythme que se fixe La Poste depuis 4 ans, en ne remplaçant qu'un départ sur 3 ou 4, c'est à dire en supprimant en même temps 10 000 emplois par an.

Deux mille emplois pour libérer du temps syndical ? Bravo mais pris sur les « 5 000 embauches », il n'en reste donc que 3 000 pour suppléer au surbooking des postiers et sans donner aux syndiqués le pouvoir de dialoguer : la politique de l'entreprise n'est pas négociable (1). Pire, le rapport occulte le fait que les dirigeants de La Poste retournent les procédures de harcèlement contre les militants syndicaux et les cadres qui ne sont pas dans la ligne.

Le renforcement du pouvoir central (le « corporate ») ? Bravo mais à quoi bon si c'est renforcer le pouvoir de ceux qui sont responsables de la crise actuelle ? On notera avec étonnement que le DRH de l'entreprise qui, tel Barberot (France Télécom Orange) en son temps, a instruit les mesures qui ont conduit les postiers aux drames que l'on sait, vient d'être nommé, à la suite du rapport « responsable de la politique de l'entreprise ».

Rien sur la façon dont La Poste devrait rompre avec le harcèlement institutionnel et les dérives éthiques que subit le personnel : dérives qui font l'objet de multiples témoignages, jusqu'à et y compris des clients de La Poste (2).

Rien sur la souffrance au travail du personnel et sur les désorganisations permanentes qui ont fait chuter la qualité de service de 50 %.

Face à la crise sociale de France Télécom, le gouvernement précédent avait pris deux mesures :

  • nommer un administrateur pour remplacer l'équipe responsable de la situation,
  • et imposer une expertise indépendante, pilotée par le Ministre de l'Emploi (l'enquête Technologia).


Aujourd'hui, à La Poste, ce sont les dirigeants responsables de la crise, toujours en place, qui sont chargés de commanditer une « expertise » dont ils fixent les objectifs et le contenu, dont ils contrôlent l'application (3).

En ne s'attaquant pas à la racine des problèmes qu'il dévoile, le rapport Kaspar manque son objectif : rétablir « le dialogue social » et attaquer les causes de la crise dont souffrent les postiers. C'est dommage et dommageable : espérons que la perte de la confiance mise dans ce rapport ne favorise pas la poursuite des drames dont l'entreprise vient de faire les frais.


(1) « Le principe des gains de productivité n’est en lui-même pas en cause », martèle le rapport : merci pour les agents épuisés par le non-remplacement des absents.
(2) Non seulement Jean Kaspar a refusé de prendre en compte les témoignages du personnel harcelé dans l'entreprise, mais il a refusé d'annexer à son rapport les propositions et positions des syndicats qu'il était censé écouter.
(3)  Juge et partie, Jean Kaspar intègre la direction de l'entreprise pour suivre  l'application de ses préconisations. C'est-à-dire la poursuite des objectifs qui ont conduit à la crise actuelle (parties un et deux du rapport).

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